
L’ambition de la collection « Renseignement, Histoire et Géopolitique » vise à aborder de front deux réalités qui paraissent éloignées, de prime abord. D’un côté, le renseignement, activité ancienne qui, pour le grand public, relève du seul domaine du secret etc du conjoncturel; de l’autre, la géopolitique, une discipline nouvelle qui tente de penser l’évolution du monde, des conflits et des crises en situant les enjeux du présent dans les structures du temps long de la géohistoire.
L’entrée dans l’ère de la mondialisation et de l’information s’est accompagnée d’une globalisation des risques et des menaces, donnant naissance à une nouvelle conflictualité génératrice d’un besoin nouveau de protection. Le 11 septembre 2001 et ses suites en est la manifestation la plus intempestive. Paradoxalement, le démantèlement des frontières administratives et idéologiques est contemporain de la montée en puissance de la cryptographie. Alors que celle-ci a longtemps été un privilège étatique (défense et diplomatie), la cryptographie est investie par la sphère de l’entreprise et envahit notre vie privée (cartes à puce, téléphone cellulaires, transferts bancaires, INTERNET…). Son succès semble s’inscrire en faux contre le mythe de la transparence pacificatrice qui était censé gouverner les sociétés post-industrielles hypermédiatisées. Les gouvernements libéralisent le cryptage de très haute sécurité pour prendre en compte le déploiement de la net-économie. La cryptologie est devenue un thème de recherche majeur dans les laboratoires d’informatique où l’incertitude quantique est mise au service de la confidentialité.
Si le secret se « scientise » et se « civilise », quittant les officines spécialisées, une tendance parallèle est marquée par la vitesse de la circulation de l’information. Celle-ci est devenue un enjeu stratégique, tant pour les Etats que les décideurs économiques qui évoluent désormais dans une société dominée par l’intelligence informationnelle. Simultanément, la parenthèse des temps idéologiques refermée, resurgit le poids d’invariants que l’on croyait dépassés (le facteur énergétique ou la donne culturelle et religieuse) et réapparaissent des types de crises qui semblaient définitivement appartenir au passé (guerres ethniques, terrorisme, prises d’otages). L’un des objectifs de cette collection prétend répondre au besoin de compréhension du monde actuel en mariant les analyses historiques et contemporaines.
Le deuxième objectif entend mettre en perspective critique la double question du renseignement et du secret. Réalité déniée ou refoulée, souvent mystifiée, le secret jouit d’une perception ambivalente : il est connoté négativement, puisque l’activité occulte (donc non contrôlable) à quoi il renvoie est réputée potentiellement anti-démocratique ou anti-moderne, mais il est en même temps une garantie de la démocratie (protection de la vie privée) et de la créativité (innovation technologique). Le renseignement, particulièrement en France, est victime d’un double déficit. Déficit moral, depuis le faux pas originel de l’affaire Dreyfus et les nombreuses affaires qui ont mis en cause le consensus républicain. C’est seulement en 1932 que le dictionnaire de l’Académie substitue le terme de « renseignement » à celui d’ « espionnage ». Déficit intellectuel, tant il a été sollicité par la (mauvaise) littérature d’espionnage et au mythe (trop facile) de l’origine secrète et conspirative des événements. Depuis la fin de la guerre froide et l’apparition de la mondialisation, il semble admis que la question du renseignement ne relève pas de la seule sphère étatico-militaire mais concerne tout autant le monde économique à travers les phénomènes d’intelligence technologique ou de guerre cognitive. C’est donc aussi à une histoire culturelle du renseignement et de l’avènement de l’intelligence informationnelle que cette collection souhaiterait œuvrer.
Cette double ambition, à la fois historique et contemporaine, conditionne la structure même de cette collection.
La série « Etudes » est dédiée aux questions actuelles ou historiques.
La série « Documents » est consacrée, soit aux rééditions de livres anciens inaccessibles (il s’agit de jeter les bases d’une sorte de fonds patrimonial), soit aux éditions de textes inédits qui nous ont paru mériter de voir le jour et d’avoir des lecteurs.
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